Quand je suis couchée dans mon lit, sur le dos, je suis juste en dessous d’une des trois poutres du grenier. C’est étrange, mais j’y pense souvent : j’imagine que la poutre se détache du plafond et tombe pile sur moi. Ecrasée. Dans toute ma longueur.
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Oui, c’est con, évidemment. Si la poutre s’écroulait, le plafond s’écroulerait tout pareil et l’homme, couché à ma gauche, serait aussi écrabouillé que moi. Mais la tête nous joue parfois des tours, je ne vous apprends rien.
Elle doit bien faire une tonne, non ?
Alors je suis là, couchée sur mon lit, les mains jointes sur la poitrine, à fixer cet énorme morceau de bois. C’est un miracle, en fait, que ça tienne là-haut, depuis 1949, année de la construction de ma maison. Une nuit d’insomnie, j’ai essayé de calculer le poids de la poutre. Section, longueur, masse, taux d’humidité… J’ai abandonné. Mes cours de physique étaient loin, bien trop loin. Je me suis dit que ça devait peser une tonne. Assez en tout cas pour faire de moi un tas de bouillie.
Sacrifice amoureux…
Des fois, ça m’oppresse tellement, la nuit, que je pousse le plus possible mon amoureux vers le bord, histoire d’échapper au danger : ainsi, si la poutre devait tomber, je serais sauvée. Il faut dire : si je dors de ce côté du lit, c’est parce que l’homme est trop grand pour pouvoir y dormir. A chaque fois qu’il se lèverait, il se prendrait la poutre basse en pleine tête. Alors que moi, vous voyez, comme je suis petite, je passe tout juste sans me cogner. A un cheveu près. Oui, l’amour, des fois, ça vous met dans des situations dangereuses, vous savez.
Visibles ou pas, ces poutres ?
Mais avouez. Autant les poutres peuvent apporter un cachet d’authenticité et donner un vrai chic à une pièce, autant elles peuvent susciter une sensation d’écrasement. Dans le salon et la salle à manger de ma sœur, le plafond est bardé de poutres. Elles se succèdent à intervalle régulier et découpent le plafond en petites parcelles. Ça fait comme des couches de gâteau. Crème fraîche, chocolat, crème fraîche, chocolat. Je n’arrive jamais à en faire abstraction : j’ai toujours le regard attiré par cela. Et comme son plafond n’est pas haut du tout, il me semble que cela alourdit l’espace.
Oui, on devrait garder les poutres visibles dans les châteaux, dans les grands manoirs et les vieilles bâtisses. Là où tout est haut, inaccessible, et où même quelque chose d’imposant semble léger dans l’espace énorme.
Les poutres, pratiques pour attraper les mouches ?
Enfin, comme dit l’homme, c’est quand même pratique, ces poutres basses dans notre chambre. On peut même y punaiser facilement un attrape-mouches gluant. C’est cela, oui! En plus de mourir écrasée la nuit et de passer à deux doigts de me cogner chaque matin, je peux prendre le risque de perdre ma longue chevelure dans la glue des mouches. Il y avait le conte de La princesse au petit pois. Il y a désormais celui de La Princesse à la poutre. Grimace.